La Passion selon saint Matthieu (BWV 244) (en latin Passio Domini nostri Jesu Christi secundum Evangelistam Matthæum, c’est-à-dire en français Passion de notre Seigneur Jésus-Christ selon l’Évangéliste Matthieu, connue en allemand sous le nom de Matthäus-Passion) est un oratorio de Bach exécuté probablement pour la première fois le vendredi saint 17271. L’œuvre a été remaniée trois fois. La troisième version, définitive, a été créée en 1736.
Cette Passion selon saint Matthieu, œuvre monumentale en deux parties dont l’exécution dure environ 2 h 45, compte parmi les grandes œuvres de la musique baroque.
En mars 1829, deux chœurs accompagnés d’un orchestre symphonique étaient dirigés par Felix Mendelssohn pour la redécouverte de cette œuvre à Berlin.
Vue d’ensemble
La Passion, d’inspiration protestante luthérienne, est écrite pour des voix solistes, un double chœur (chœur divisé en deux groupes indépendants) et deux orchestres. Elle allie deux éléments : le texte de l’Évangile et les commentaires. La sobriété relative, très dynamique, de récitatifs chantés par l’Évangéliste, dans lesquels interviennent fréquemment les protagonistes du drame (les personnages impliqués dans l’action ainsi que la foule – turba -, représentée par le chœur, à l’antique), fait donc alterner comme sur une scène de théâtre, le chant soliste et des épisodes choraux très puissants et expressifs. Des arie da capo (airs à reprise), également chantés par les voix solistes, reviennent sur chaque moment important. De nombreux chorals luthériens, magnifiquement harmonisés par Bach, installent le tout dans la liturgie protestante du jour de la Passion (le Vendredi saint). Pour des raisons aussi bien dramatiques que liturgiques, Bach fait parfois s’entremêler ces éléments, dans une rencontre entre différents plans, ou comme des liens qu’il établit entre le ciel et la terre.
La compassion, la passion pour l’autre, et l’abandon à la douleur constituent l’idée maîtresse de l’œuvre. Qu’elles soient de joie ou de peine, amères ou libératrices, toute l’œuvre paraît baigner dans les larmes : (cf. par exemple le célèbre air d’alto, très italien Erbarme dich, mein Gott, « Aie pitié, mon Dieu », n° 39), chanté après que l’apôtre Pierre, sous l’emprise de la peur, a renié trois fois le Christ, et s’est mis à « pleurer amèrement » (fin du récitatif de l’Évangéliste : « und weinete bitterlich »), au souvenir de l’annonce qui lui avait été faite, par le Christ, de ce reniement.
Bach a composé également une Passion selon saint Jean, qui est donnée plus fréquemment : elle est plus courte et ne nécessite qu’un seul chœur au lieu de deux. Bach avait apparemment le projet d’écrire quatre Passions correspondant aux différents récits, par les quatre Évangélistes, de la dernière Cène (dernier repas) et de l’institution de l’Eucharistie, de l’arrestation, de la condamnation à mort et de la Crucifixion de Jésus.
Création et histoire des différentes représentations de l’œuvre
L’œuvre a été entendue pour la première fois à l’église Saint-Thomas de Leipzig où Bach exerça la charge de maître de chapelle de 1723 jusqu’à sa mort en 1750. Plusieurs autres exécutions eurent lieu au même endroit, respectivement le 11 avril 1727, le 15 avril 1729, le 30 mars 1736 et le 23 mars 1742. À chaque fois, elles y reçurent un mauvais accueil. Leipzig était une cité protestante (luthérienne) marquée par un piétisme qu’on pourrait imaginer hostile aux effets dramatiques et à la puissance d’émotion de cette musique. Mais on aurait tort car Bach lui-même était un ardent piétiste (et donc un partisan de ce courant philosophique qui privilégie le sentiment de piété individuelle) et la principale raison est en fait à l’inverse : pour les employeurs de Bach, son art, largement polyphonique et contrapuntique, représentait surtout le passé… Nous le percevons tout autrement : chez lui en réalité, les traditions d’écriture issues de l’époque médiévale se mêlent constamment aux conceptions italianisantes propres à l’ère baroque, synthétisant ainsi plusieurs siècles de musique européenne, ce qui pouvait dérouter des oreilles ou des esprits trop ancrés dans le présent. Bach mettait les deux esthétiques – passablement opposées – au service de son œuvre et des différents chemins qu’elle emprunte, Soli Deo Gloria (« À la gloire de Dieu seul »), selon la formule luthérienne qu’il reprenait couramment pour signer sa musique.
Comme bien d’autres œuvres, la partition ne sera redonnée qu’un siècle plus tard, le 11 mars 1829 grâce aux efforts de Felix Mendelssohn qui dirigea l’Académie de Chant (Singakademie) de Berlin après avoir obtenu l’accord quelque peu réticent de son directeur Carl Friedrich Zelter, pourtant grand zélateur de Bach. Pour la reprise de cette œuvre oubliée depuis longtemps, Mendelssohn, qui dirigeait d’un piano, effectua de nombreuses adaptations : partition abrégée de plus d’un tiers, chœur de 158 chanteurs, orchestre symphonique complet, partition largement révisée, changements de tessitures, travail de l’expressivité à la mode romantique… C’était donc une restitution bien éloignée de l’interprétation originale dont la tradition s’était perdue, mais cependant une grande nouveauté qui entraîna une redécouverte durable de Bach.
Au xxe siècle, la Passion fut donnée et enregistrée par des chœurs et des orchestres dirigés par les plus grands chefs, Wilhelm Furtwängler, Karl Richter, Herbert Karajan, Otto Klemperer, Hermann Scherchen, Michel Corboz, Nikolaus Harnoncourt, Gustav Leonhardt, Willem Mengelberg, Helmuth Rilling, Georg Solti, John Eliot Gardiner, Frans Brüggen, Philippe Herreweghe, Masaaki Suzuki, et au xxie siècle par Riccardo Chailly, Kurt Masur, René Jacobs et plusieurs autres, proposant des nuances d’interprétations intéressantes.